Le Non-Récit

Publié le par Emöjk

Malgré toutes mes bonnes intentions, il est clair à présent – et vu le temps écoulé depuis la dernière fois que j’'ai eu l’'envie et le temps de raconter des histoires –que les Rêves resteront inachevés. Impossible de les réécrire une troisième fois.
Est-ce un aveu de faiblesse, surtout quand on pense que celui-là, je voulais le rendre public, l’'envoyer aux éditeurs ?
(oui, comme tous les autres, mais cette fois-ci plus. Il y avait une fibre, quelque chose dans l’'écriture qui semblait juste, qui semblait, enfin, la bonne voix…)
C’'est assez mystérieux, cette adéquation qu’'on n'’atteint jamais entre nos pensées et nos mots, dits ou écrits. Rien que d’'avoir à les dire, ou les écrire, décale le processus ; et c’'est ce décalage qu'’il faut apprendre à régler, jusqu’à ce qu'’il n’y ait plus à se forcer, juste à se faire plaisir.
L'’écriture est un travail, bien sûr. Parler aussi devrait en être un, et je fais ma part du boulot. Dans une certaine mesure, car si l’'on devait réfléchir à tout, dire les bons mots et seulement ceux-là, on ne parlerait plus. Cependant, de temps à autre de ma bouche sort de la poésie, une jolie phrase, un joli son capturé sur le vif et aussitôt relâché de peur qu'’il ne s’oublie. Ça profite surtout à Lily, mon premier témoin, mon guide là-dedans. J’'essaye que ça sorte tout seul, je fais des progrès, ça continue.
Mais pour l’'écriture… Bien sûr qu'’il y a une certaine part de travail, c’'est inévitable si l’'on veut faire quelque chose de bien. Je ne peux plus, comme avant, plonger dans l’'histoire sans savoir à quel moment je vais pouvoir reprendre ma respiration. Peut-être mon souffle s’'est-il étiolé avec l’'âge (comme dans la vie, tiens), je ne sais pas… Mais il me faut un plan, une idée que je sais pouvoir étirer du début à la fin, comme dans les Rêves : trois personnages qui s’'entrecroisent, un récit vu tour à tour de chaque point de vue, avec à chaque fois la disparition des deux autres personnages. Par exemple Alex qui voit Félix puis Gaëlle disparaître… Du coup à la fin on ne sait plus qui était réel, qui ne l’'était pas. Il y avait l’'écrivain fantasmant sa vie, solitaire dans sa chambre, la rêveuse un peu folle dans sa maison à la montagne, et le noctambule croyant lire un livre qui n’'existe pas (comme l’'homme au cœoeur de bois…). C'’était bien parti, mais sur la forme je n’'y suis pas arrivé. D’'abord je suis resté trop près de mes histoires d’'avant, puis je suis allé trop loin. Il faut trouver la juste mesure, mais pour l'’instant je reste le seul à pouvoir apprécier mes histoires, et ça n'’est pas bien.
Et le Poème en Chambre ? Peut-être vais-je le continuer (et lui trouver un nouveau titre), c’'était bien parti aussi, et plus dans la mesure… Une série de nouvelettes simples et amusantes à écrire (peut-être, à lire), décrivant à travers les yeux d'une rêveuse sa chambre, sa maison, objet après objet. Il y a, là aussi, des scories bien sûr, mais ça doit être possible d’'aller jusqu’au bout. Même si cette histoire me plaît moins que les Rêves…
Ça va sembler extrêmement présomptueux, mais je suis déçu que les Rêves n’'aient pas touché leur but, et j’ai l’'impression que c’est parce que ce que j'’écris est trop… je ne sais pas : trop complexe, trop alambiqué, trop avancé ? C’est vrai qu'’il y a mille choses cachées dans ce texte, des jeux partout, des énigmes (dont je donne toujours la solution), des références que seules quelques personnes peuvent comprendre, des clefs cachées aux bons endroits… Je voyais ce roman aussi comme un jeu avec le lecteur, essayer sans trop l’'aider de lui faire démêler les fils, mais sans doute était-ce trop ambitieux. C’'est quelque chose qui me vient du jeu de rôle, probablement, et que j’'essaierais sûrement de faire avec mes prochaines histoires, avec le Poème peut-être. J'’aime cette idée que tout n’'est pas clair, que le lecteur sent que quelque chose est caché sans arriver à le trouver. Il ramasse les indices au fil du texte et une fois la dernière phrase achevée, mais oui, c’'est évident ! Les réponses se mettent en place. Ça vient de certains films, je pense, peut-être aussi de lectures qui, pareillement, sont des textes à clef. Bien sûr, c’'est aussi pour flatter le lecteur qui ouvre les bonnes portes, qui se sent relié avec l’'auteur. Mais dans mes histoires il n’'y a pas que ça, et j’'ai essayé, derrière ces jeux-énigmes, de faire une vraie histoire, un poème-roman comme la dernière mouture l’'annonçait, quelque chose d'’onirique où si l’'on ne comprend pas tout, ça n’est pas grave, c'’est quand même plaisant à lire.
Longue nuit aux Rêves, donc. Maintenant, l’'envie d’écrire me fourmille à nouveau les doigts, mais je ne sais pas quoi… Je vais laisser les idées m'’envahir, je sais que certaines choses sont proches. Je sais que certaines choses vont revenir : le roman qui n’existe pas (et son lecteur-personnage) au moins. Ça pourrait être un point de départ… Pour faire plaisir à Lily, il n'’y aurait pas de couples, peut-être même pas deux personnages. Peut-être même pas de personnages, seulement des silhouettes que l’'on entrevoit comme sur les murs la nuit lorsque les phares des voitures défilent ; un puzzle jamais complet, quelque chose à la Pérec, une rue, un immeuble, un appartement…
Il faut y penser. Mais pas trop, il faut aussi que ça vienne tout seul… Encore cette histoire de mesure, fouiller, essayer, faire lire et recommencer. Un long travail, oui… Mais cette fois-ci j’'irais doucement, je ferais lire au fur et à mesure, au lieu de ne me retourner qu’'une fois tout le chemin parcouru, je ferais halte à plusieurs reprises.
Vœoeux pieux… Oublions tout cela, que ça ressorte mieux au détour d’'une rue, au creux d’'un rêve, m'’éblouissant et me surprenant au moment où j’'en aurais besoin, c'’est à dire quand je m’y attendrais le moins.

Publié dans Chansons d'Hiver

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B
et... où est-ce qu'on peut les lire ces rêves ?
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